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L'Âme arménienne
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10 janvier 2007

"La question arménienne, notre cauchemar"

par Gülay Göktürk

On a tous vécu des expériences douloureuses dont on aurait voulu qu’elles ne fussent pas réelles et qu’on voudrait évacuer et oublier à tout jamais. Plus on fait comme si elles n’avaient jamais existé et plus leur souvenir se transforme, telle une obsession, en cauchemar quotidien. Le jour où, prenant votre courage à deux mains, vous décidez de vous confronter à ces souvenirs et de les assumer, tout d’un coup vous vous sentez mieux et, alors que vous vous interrogez sur toutes ces années de souffrance, vous vous rendez compte que la solution était finalement plus simple qu’il n’y paraissait.

Eh bien, c’est exactement comme cela que la question arménienne s’est transformée pour nous en cauchemar. Nous n’avons visiblement pas les moyens de mettre un terme au débat sur ce sujet, pas plus que nous ne sommes en mesure de persuader l’opinion mondiale qu’il ne s’est rien passé au début du XXe siècle avec les Arméniens dans l’Empire ottoman.

En outre, et quoi qu’il se soit passé en 1915, nous n’avons pas eu le courage jusqu’à maintenant de mettre les choses à plat, sans complexe.

Nous sommes coincés dans cette impasse et chaque jour qui passe constitue pour nous une souffrance supplémentaire. En effet, c’est avec appréhension que nous attendons les coups qui vont nous tomber dessus. A qui le tour ? Quel Parlement de quel pays va cette fois adopter une loi sur le génocide arménien ? Depuis des années, nos diplomates en sont réduits à une seule et unique activité : tenter de contrer les accusations de génocide. Comme l’a dit Ilter Türkmen [ancien ambassadeur de Tuquie, aujourd’hui éditorialiste du quotidien Hürriyet ], chaque année, à l’approche du 24 avril [date anniversaire du génocide arménien], on attend avec angoisse le communiqué émanant de la Maison-Blanche. Même si est évoquée “l’une des plus terribles tragédies du XXe siècle, où 1,5 million d’Arméniens ont été déportés et tués en masse”, nous nous réjouissons car le mot “génocide” n’a pas été prononcé. On se dit alors que de nouveau on l’a échappé belle.

Ne serait-il pas plus sain de crever maintenant l’abcès ?

Cette situation est si calamiteuse qu’elle nous a même empêchés de nous réjouir de la récente débâcle électorale de George W. Bush. A peine les résultats furent-ils connus que Nancy Pelosi, la nouvelle présidente de la Chambre des représentants, devenait un nouveau sujet d’inquiétude. Cette dernière est en effet connue pour sa sensibilité particulière à l’égard de la question arménienne et il ne semble pas du tout exclu qu’en avril prochain la Chambre basse du Congrès américain adopte une décision allant dans le sens de la reconnaissance du génocide arménien. Nous voilà donc de nouveau plongés dans des pensées noires.

Comment allons-nous pouvoir supporter une telle claque de la part de notre principal allié ? Franchement, peut-on vraiment continuer de cette façon ?

Plutôt que de subir, portons le débat sur la place publique. Ne serait-il pas plus sain de crever l’abcès ? Le principe consistant à “laisser l’Histoire aux historiens” a montré ses limites. La classe politique a été la première à passer outre à ce principe. Comme l’a très bien formulé l’historien turc Sükrü Hanioglu, “il est impossible que l’Histoire demeure le monopole des seuls historiens. On ne peut donc éviter que la classe politique interprète l’Histoire à sa façon. En réalité, le problème ne réside pas dans l’interprétation occasionnelle de l’Histoire par des politiciens, mais plutôt dans la façon dont la classe politique peut éventuellement vouloir imposer son interprétation de l’Histoire à la société en affirmant qu’il s’agit de la seule vérité et en interdisant tout débat à ce propos.”

Ce n’est donc qu’en créant les conditions d’un débat libre et d’où toute volonté d’interdiction sera absente que l’on pourra sortir de cette impasse. Quoi qu’il résulte d’un pareil débat, ce ne pourra pas être pire que le cauchemar actuel. En effet, il n’y a rien de pire pour un pays que de voir son Histoire prise en otage et victime de chantage.

Gülay Göktürk

[source: armenews]

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