Lobby économique
PARIS, 19 juil (AFP)
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Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan devait arriver lundi à Paris pour plaider en faveur de l'entrée de son pays dans l'UE, une adhésion appuyée par le gouvernement français mais vue avec suspicion par l'opinion publique, selon les experts. "Cette visite intervient dans une situation politique tendue, compliquée, où la question de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne est exacerbée", estime Didier Billon, chercheur à l'Institut de relations internationales etstratégiques (IRIS). Eddy Fougier, hercheur de l'Institut français de relations internationales (IFRI), qualifie la candidature turque de "sujet politique explosif, où on assiste à un décalage entre la position officielle du gouvernement et l'opinion". M. Erdogan doit être reçu par les plus hautes autorités de l'Etat français et s'entretenir avec les dirigeants des principaux partis politiques français. La Turquie a obtenu le statut de candidat à l'UE en 1999 et la Commission européenne doit en octobre recommander ou non l'ouverture des négociations d'adhésion sur laquelle se prononceront les dirigeants européens en décembre.
Le président français Jacques Chirac est favorable à l'adhésion
si les critères requis sont remplis. Il a qualifié, lors du sommet de
l'OTAN à Istanbul le 29 juin, la marche d'Ankara vers l'UE d'"irréversible", insistant sur la "vocation européenne, historique, très ancienne" de la Turquie.
Son
parti, l'Union pour la majorité présidentielle (UMP), s'est en revanche
prononcé contre une adhésion, tout comme les autres partis de droite.
La
gauche y est globalement favorable même si le Parti Socialiste a mis
comme préalable la reconnaissance par Istanbul du génocide arménien de
1915.
"Tous les sondages récents, sauf un, indiquent qu'une majorité de Français est contre l'adhésion de la
Turquie",
poursuit Eddy Fougier de l'IFRI. La France "est le seul pays européen à
avoir instrumentalisé cette question lors du pseudo-débat sur les
élections européennes", souligne son collègue de l'IRIS, Didier
Billon. "Les
oppositions sont d'ordres divers, peur de l'islam et des immigrants
pour les extrêmes, crainte de voir une Europe se diluer dans une vaste
zone de libre-échange pour d'autres", estime Eddy
Fougier.
Il relève également "un conflit entre un lobby économique pro-adhésion et un lobby politique d'origine arménienne". "Pour le lobby économique, la Turquie représente un nouvel El Dorado, c'est la Chine de l'Europe",
souligne-t-il. La communauté arménienne de France, avec 450.000
personnes, dont 80.000 à Marseille, dans le sud du pays, est la plus
importante d'Europe occidentale. Elle a obtenu en 2001 la
reconnaissance par le parlement français du génocide arménien. Pour
Didier Billon, la "Turquie considère la France comme un des Etats
européen les plus ouverts à l'adhésion. Elle a compris qu'au-delà du
théâtre politique, il y a un Etat. Alors ils relativisent les
oppositions". "On ne peut imaginer du reste que la France dise non à l'ouverture des négociations d'adhésion", ajoute-t-il. Mais il "reste quelques contentieux dont la question arménienne". "Sur
le génocide, Erdogan ne bougera pas parce que c'est une question
structurante de l'Etat turc. La société turque commence néanmoins à en
débattre", ajoute le chercheur de l'IRIS.
Dominique Reynié, professeur à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris, estime que c'est "l'Islam qui inquiète en France" alors que, selon lui, c'est un "pays musulman incomparable, installé dans une laïcité originale depuis plus de 80 ans".